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2009 : Hugues DUFOURT Antiphysis
Hugues Dufourt et l’Ensemble Orchestral Contemporain poursuivent depuis plusieurs années une collaboration féconde dont rend compte cet album (et ses quatre chapitres) en tous points convaincants.
Au coeur de la recherche esthétique et musicale du compositeur français, né lyonnais, en 1943: l’essor du son, sa résonance dans l’espace, ses vibrations et son devenir par vibrations, effets de textures, émissions non traditionnelles, où souvent les instruments acoustiques produisent des sonorités et luminescences proches des dispositifs électroniques…
L’autre composante majeure qui est au coeur de la création de Hugues Dufourt, et que met en avant l’album, c’est la place de la peinture inspirant un alchimiste du son, visiblement captivé et stimulé même par les problèmes de touche, texture, sujets, frémissements tactiles et vibratiles du pinceau.
Ici les vagues multiples, les diffractions de la matière sonore dans l’espace façonnent le bruit du mystère, des supports particulièrement suggestifs, qui préfèrent au précis et à l’explicite, la coloration flottante des harmonies raffinées et changeantes. De L’origine du monde (musée d’Orsay), tableau si scandaleusement obscène et par là même frappant par son sujet, de Gustave Courbet, Dufourt produit en 2004 par épisodes et variations, où le piano (Ancuza Aprodu) dialogue avec les percussions, le chant du premier étant prolongé dans l’espace par les seconds. Dérèglement et trouble, indices de l’étrange et de la fascination (propre au sujet qui “ose” représenter sans prétexte ni masque, le sexe féminin)… Saluons grâce à l’engagement de Daniel Kawka et de son Ensemble, la finesse de l ‘écriture qui procède par ajouts de glacis ou de matière picturale translucide comme le font les meilleurs peintres: ce métier aime et favorise l’allusif sur tout autre expressivité directe et bruyante. Vents et bois marquent un embrasement de tous les sens, un éblouissement panique comme sous le joug d’une vision trop forte.
L’hommage à Charles Nègres (1986) qui part aussi d’une image préétablie, la photographie au XIX ème de Charles Nègre représentant une famille (enfants compris) de ramoneurs, portrait collectif des esclaves ordinaires de la misère urbaine d’antan. L’écriture de Dufourt, procédant là encore par atmosphères, souligne par compassion, la dignité de ses laborieux méconnus, de ses êtres noircis par leur métier ingrat, ces âmes avilies de l’ombre. Le compositeur développe une instrumentation tendue et volontairement sans éclat, opaque, lugubre, voilée, médiane… proche de ce sepia photographique (ni sombre ni terne), d’un gris flottant très évocatoire.
Même précision et suggestion du chef dans The Water star (1993) où le hautbois semble inciser l’espace en une sonorité expansive, reposant également sur un monde suspendu. En référence à Shakespeare, Dufourt recrée un univers léthal où se détache la transparence des effets de vibrations sonorisées (cloches et xylophone). Refus de la forme intelligible, essor de l’informel qui renoue avec le questionnement originel, en un flux qui s’écoule sans fin: d’où venons-nous et où allons-nous?
Telle est aussi l’activité plus agitée et fiévreuse de la flûte virtuose (Fabrice Jünger) dans Antiphysis (1978): grondements, frottements (des planètes?) auquel le timbre déchiré/déchirant du piccolo souligne l’acidité panique, la flamboyante syncope qui provoque, questionne, restructure, encore et encore…
Daniel Kawka et l’Ensemble Orchestral Contemporain apportent leurs couleurs spécifiques dans ce grand repas cosmique dont le titre Météores renvoie évidemment aux origines primordiales et à l’écoute des mondes infinis. A la fois minutieux et poétique, le chef sait habilement conduire ses musiciens à la lisière et dans les failles allusives d’un langage “pluridimensionnel, polysémique” et nous ajouterons énigmatique, de Hugues Dufourt. Les interprètes s’y affirment en décrypteurs enchantés, d’autant qu’ils jouent, sans jamais user ni dénaturer sa nature profondément riche et mystérieuse. (Classicnews.com)